Érik Poirier, le quart-arrière qui a vaincu le cancer
Montréal, le 3 octobre 2005 – À tout juste 24 ans, le joueur de football des Carabins Érik Poirier a connu un cheminement bien différent de tous ses coéquipiers au cours des dernières années. Au lieu de passer son temps au gymnase ou sur le terrain, il a plutôt fait la navette entre la maison et l'hôpital. Portrait d'un jeune homme qui a affronté des obstacles bien plus redoutables qu'une ligne de mêlée.
En 2001, après une année passée avec les Stingers de l'Université Concordia sans prendre part à aucun match, Érik Poirier décide de réorienter sa carrière d'étudiant en gestion des opérations. Il prend le chemin de HEC Montréal à l'hiver 2003, avec l'idée de tenter sa chance auprès des Carabins l'automne suivant. Une douleur dans le bas du ventre l'amènera toutefois à passer un examen médical qui chambardera son existence.
Un appel qui change sa vie
À une semaine de ses examens de fin de trimestre, le verdict tombe: il reçoit un coup de téléphone lui annonçant qu'il est atteint d'un cancer des testicules et le médecin lui apprend du même coup qu'il doit entrer à l'hôpital pour une ablation deux jours plus tard.
«C'est peut-être parce que ça s'est passé tellement vite que je n'ai pas vraiment eu l'impression d'être en danger, avoue l'étudiant-athlète, qui n'a pu terminer son trimestre. Je n'ai pas essayé d'ignorer ma condition, mais j'ai vécu cet évènement tout simplement comme un défi que la vie nous apporte.»
Après quelques semaines de convalescence, il revient à l'Université, mais décide toutefois de mettre sa carrière de footballeur en veilleuse pendant un an afin de se concentrer sur ses études. Un matin de l'hiver 2004 toutefois, une douleur à l'estomac le sort du lit.
«C'était tellement intense que j'avais de la difficulté à marcher en plus de vomir ce que j'avais dans le ventre. Après sept ou huit heures sans amélioration, j'ai du me rendre à l'hôpital, où j'ai passé plus de 28 heures sur la morphine tout en subissant une batterie de tests.»
Un nouveau défi: la chimiothérapie
L'un de ces tests décèlera une masse située tout près d'un rein sans toutefois pouvoir confirmer la présence d'un nouveau cancer. À cause de ses antécédents, les médecins, unanimes, décrètent que la masse doit disparaitre. Il y a cependant un problème: cette masse est trop grosse pour être enlevée; seule la chimiothérapie peut en venir à bout. Trois mois de traitement, qui seront un véritable calvaire, seront nécessaires. En plus de tous ses cheveux, Érik Poirier perdra un autre trimestre.
«J'avais beau être en forme, ce fut le moment le plus dur, car les traitements étaient très épuisants sur le plan physique. Je n'avais plus d'énergie et je dormais régulièrement 15 heures par jour.»
Au moins, la chimiothérapie produit son effet et la masse diminue suffisamment pour qu'il puisse de nouveau être opéré. Même si les médecins ne peuvent établir de lien avec son cancer, l'analyse de la masse se révèle négative. Il quitte l'hôpital avec une cicatrice longue de 30 cm sur le ventre qui le marquera à jamais.
«Encore aujourd'hui, j'ai peine à croire que tout cela m'est bel et bien arrivé. C'était un étrange sentiment, car même les gens autour de moi ne me croyaient pas malade et pensaient que je m'étais tout simplement raser les cheveux. Quand je leur disais ce que je vivais, ils avaient l'impression d'être face à un fantôme.
«Mes médecins trouvaient plutôt drôle cette forme de détachement de ma part, mais je crois, avec le recul, que cette attitude m'a aidé à passer au travers.»
Il revient tant bien que mal à ses études à l'automne 2004 et recommence à s'entrainer dans le seul but de reprendre des forces. Une idée lui trotte toutefois dans la tête: il a le gout de rejouer au football.
Après discussion avec une connaissance de longue date, Jonathan Jodoin, quart-arrière des Carabins et tout comme lui originaire de Saint-Bruno, il communique avec le coordonnateur offensif de l'équipe, Pat Gregory. Celui-ci le connaissait puisqu'il était un des entraineurs des Stingers à l'époque, mais il n'était pas au courant de ce que son protégé avait vécu.
«Quand il m'a raconté son histoire et avoué qu'il souhaitait rejouer au football, je me suis montré sceptique quant à ses chances au départ. Quand on entend le mot “cancer”, les poils nous dressent sur les bras. Il n'y a pas grand-chose de positif là-dedans, dont sur le plan physique», observe Pat Gregory.
Mais Érik Poirier s'ennuie de l'esprit d'équipe et il est prêt à faire les sacrifices qui s'imposent pour prendre sa place. «C'était clair dans ma tête. Si je voulais rejouer au football, c'était maintenant ou jamais.»
Un accomplissement en soi
Le jeune homme entreprend alors une remise en forme complète, suit à la lettre le programme d'entrainement de l'équipe et prend part au camp de printemps 2005. «Ce ne fut vraiment pas facile. On m'avait dit que la chimiothérapie affectait les poumons et je m'en suis rapidement rendu compte: mon cardiovasculaire était en très mauvais état», poursuit le quart-arrière.
Après un été passé à consacrer beaucoup d'efforts à l'entrainement, il se présente au camp de sélection des Carabins au mois d'aout dernier et se taille une place au sein du groupe.
Érik Poirier a regardé les trois premiers matchs depuis les gradins, puis, sans fouler le terrain, il a été de l'alignement au match disputé à l'Université Acadia, en Nouvelle-Écosse, le 24 septembre.
«Je vois ça comme un accomplissement en soi. J'y ai cru dès le début, à ce retour, mais je devais néanmoins le faire. J'ai en quelque sorte l'impression d'avoir retrouvé une vie normale.»
Pat Gregory, qui décrit son joueur comme quelqu'un de discret doté d'un bon sens de l'humour et qu'il considère «comme un très bon kid», est heureux de pouvoir compter sur sa présence. «Je souhaitais juste qu'il ait quelque chose de positif devant lui et qu'il passe à autre chose. Qu'il ait revêtu l'uniforme à Acadia, c'est bien, mais sa présence dans l'équipe est quelque chose d'encore plus grand à mes yeux.»
«Il ne faut pas croire qu'il a eu tout cuit dans le bec. Oui, on lui a fourni une occasion, mais il l'a saisie en faisant ce qu'il devait faire. La maturité qu'il a acquise durant cette épreuve est un plus pour notre groupe de joueurs.»
Le bracelet de Lance Armstrong
Érik Poirier porte au poignet gauche le bracelet jaune de la Fondation Lance Armstrong, du nom du célèbre cycliste qui a remporté le Tour de France à sept reprises après avoir vaincu un cancer des testicules.
«Les gens autour de moi, dont mes parents, ont profité du mouvement qu'il continue de susciter pour m'appuyer dans mon combat. Je ne me suis pas battu tout seul, c'est certain», souligne-t-il tout en précisant qu'il n'a pas encore terminé la lecture de It's not about the Bike: My Journey back to Life, le livre de Lance Armstrong. «J'étais trop fatigué durant mes traitements de chimiothérapie et mes deux sœurs me l'ont emprunté! Mais je connais son histoire.»
Celui qui veut poursuivre sa carrière de footballeur pendant encore deux ans, le temps de terminer son baccalauréat, reconnait voir la vie différemment, ce qui lui semble en fin de compte une bonne chose.
«J'ai arrêté de m'en faire avec des banalités et j'ai beaucoup plus de plaisir qu'avant dans la vie de tous les jours. Auparavant, je prenais tout trop au sérieux. Maintenant, je ne stresse plus pour rien et je mets l'effort nécessaire dans ce que j'entreprends.»